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Objection de conscience : revirement de la Cour constitutionnelle sud-coréenne pour les droits des objecteurs

Le 28 juin 2018, la Cour constitutionnelle de la République de Corée, saisie par 28 pétitionnaires, a opéré un revirement de jurisprudence par rapport à ses précédentes décisions, en considérant (à une majorité de 6 juges contre 3) que l’absence de formes alternatives de service civil au service militaire était anticonstitutionnelle, et en ordonnant au gouvernement de changer la loi d’ici le 31 décembre 2019. Ayant milité de longue date contre l’emprisonnement systématique des objecteurs de conscience sud-coréens (à l’instar de quelques rares autres organisations, comme l’Association d’amitié franco-coréenne), le Comité international pour les libertés démocratiques en Corée du Sud (CILD) se félicite de cette décision, enfin conforme aux traités internationaux auxquels la République de Corée est partie, tout en appelant à la plus grande vigilance :

– en ce qui concerne les formes alternatives de service civil qui seront proposées et leur durée,
– en déplorant que l’insoumission continuerait manifestement d’être criminalisée,
– en s’assurant de la libération immédiate de tous les hommes sud-coréens aujourd’hui emprisonnés pour objection de conscience (ils sont aujourd’hui 214 derrière les verrous pour les seuls Témoins de Jéhovah, purgeant une peine de 18 mois, et 950 Témoins de Jéhovah ont engagé des procès sur la base de leur liberté de conscience et du refus de porter les armes),
– en garantissant les droits et l’absence de discrimination juridique des anciens prisonniers politiques au titre de l’objection de conscience. 

L’amnistie doit être complète et sans exceptions. En outre, les discriminations sociales à l’encontre des objecteurs de conscience devront continuer à être combattues, et la question des droits de l’homme à l’armée abordée sans fards, alors que l’armée sud-coréenne enregistre de tristes records en matière de crimes, dont des viols et des meurtres

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Manifestation devant la Cour constitutionnelle,
le jour de la décision rendue ce 28 juin 2018

C’est une première victoire dont il faut se réjouir : la lutte pour les droits des objecteurs de conscience a payé. Elle a été menée en Corée, bien sûr, mais également en France, qui grâce à l’implication de militants pour les droits de l’homme compte, selon nos informations, quatre objecteurs de conscience et un insoumis tous reconnus réfugiés politiques, depuis la décision favorable dont a bénéficié, en juin 2013, le premier objecteur de conscience sud-coréen au monde ayant obtenu la qualité de réfugié, Lee Yeda.

Suivant la décision de la Cour constitutionnelle sud-coréenne (traduite de l’anglais par l’Observatoire Pharos pour le pluralisme culturel et religieux),

 La cour constitutionnelle sud-coréenne a ordonné au gouvernement d’introduire des formes civiles de service pour les objecteurs de conscience, épargnant ainsi la prison à des centaines de jeunes hommes qui refusent de servir au sein des forces armées par cas de conscience ou pour des raisons religieuses chaque année.
Ainsi, la cour a pris une décision historique en déclarant que l’article 5 de la loi sur le service militaire est anticonstitutionnel, car il n’offre pas d’alternative au service armé. Elle a donné au gouvernement et au Parlement jusqu’à la fin de l’année prochaine pour réviser la loi.

Selon Amnesty international, 19 300 Sud-Coréens – pour la plupart, des Témoins de Jéhovah – ont été emprisonnés en tant qu’objecteurs de conscience depuis l’accord d’armistice de 1953 ayant mis fin aux combats de la guerre de Corée, qui ne s’est pas terminée par la signature d’un traité de paix. La situation de guerre de fait a justifié pendant longtemps, pour les autorités sud-coréennes et la Cour constitutionnelle, l’absence d’alternative civile au service militaire. Le nouveau président démocrate Moon Jae-in, élu en mai 2017, avait envisagé pendant sa campagne de modifier la loi sur ce point, mais sans résultat tangible jusqu’à ce jour – faute notamment d’une majorité stable à l’Assemblée nationale. La décision de la Cour constitutionnelle va forcer le Parlement à intervenir, dans un contexte de très forte opposition des conservateurs qui ont toujours considéré le service militaire obligatoire comme un levier pour modeler l’opinion publique selon leurs convictions anti-Corée du Nord – dans un pays qui a connu plusieurs décennies de dictature militaire, de 1961 à 1987.

Alors que le service militaire dure actuellement 21 à 24 mois, le service civil alternatif serait plus long – ce qui n’est pas en soi aberrant au regard de la pratique d’autres pays qui ont ou avaient mis en place des régimes de service civil, mais pose une vraie question au regard de la durée du service militaire : par exemple, une durée double (42 à 48 mois !) ferait du service civil une perspective peu attrayante, alors que le chômage des jeunes et plus encore les emplois précaires qui frappent les jeunes actifs en Corée du Sud rendraient tout simplement matériellement impossible de s’éloigner d’un emploi correspondant à sa formation pendant une durée aussi longue.

La nature des postes proposés fait aussi débat : être policier ou pompier n’est pas aisément compatible avec des convictions antimilitaristes ou de refus de porter les armes. Enfin, faire travailler les futurs candidats au service civil dans des abris pour personnes sans domicile fixe, dans des hôpitaux et des prisons soulève une question : la société sud-coréenne entend-elle devenir une société de castes, dans laquelle ceux qui n’iraient pas à l’armée seraient cantonnés à des activités pénibles et souvent peu valorisées, comme pour les punir de ne pas vouloir se fondre dans le courant militariste dominant de l’opinion ? Par ailleurs, lorsqu’on sait que les employeurs demandent aujourd’hui à leurs futurs salariés de faire état de leur service militaire, on comprend aisément que les emplois proposés pourront servir de moyens pour perpétuer la discrimination sociale contre les objecteurs de conscience. La décriminalisation (y compris des insoumis) et le refus des discriminations seront intimement liés aux combats qui s’engagent dès aujourd’hui

La décision de la Cour constitutionnelle est un premier succès, mais la mobilisation doit continuer, plus que jamais : le CILD s’engagera pleinement dans cette nouvelle lutte.

 

Détente dans les relations intercoréennes : l’espoir d’une plus grande liberté en Corée du Sud

Le 11 juin 2018, Binaifer Nowrojee, directeur pour la région Asie-Pacifique de l’Open Society Foundation, a publié un article dans Time exprimant son espoir que la détente en cours dans les relations intercoréennes et les relations Etats-Unis-Corée du Nord permette une amélioration de la situation des droits de l’homme en Corée du Sud – car de fait de trop nombreuses atteintes aux droits de l’homme y sont justifiées par la situation de tension avec la Corée du Nord.

De premières atteintes aux droits de l’homme portent sur la liberté d’information – et notamment sur l’information relative à la Corée du Nord. Un ancien militant pour les droits de l’homme, Lee Jin-young, a été emprisonné pour avoir commis le crime de constituer une bibliothèque en ligne relative à la Corée du Nord, c’est-à-dire d’avoir – selon la loi sur la sécurité nationale sud-coréenne (LSN), mené des activités « favorisant l’ennemi« . Son cas n’est pas isolé : en 2012, Park Jung-geun avait été condamné à 10 mois de prison en première instance (avant d’être finalement acquitté) pour avoir re-tweeté des informations d’un site nord-coréen… son intention était parodique, mais la LSN ignore l’humour.

Binaifer Nowrojee a mis l’accent sur deux thématiques largement développées dans nos colonnes : les pouvoirs exorbitants de l’agence nationale de renseignement (acronyme anglais : NIS), en mentionnant notamment ses interférences dans le processus électoral et son contrôle des outils informatiques – tel qu’une nouvelle application de téléphonie mobile, assurant la sécurité des communications, a été téléchargée 50 000 fois en trois semaines, et l’armée comme zone de non-droit. A cet égard, deux exemples sont édifiants : l’emprisonnement des objecteurs de conscience, et la chasse aux sorcières contre les hommes gays dans l’armée.

Plus que jamais, pour tous ceux qui souhaitent que la Corée du Sud devienne une société pleinement libre et démocratique, il importe de soutenir le processus de détente internationale en cours autour de la Corée.

Trois objecteurs de conscience acquittés en appel en Corée du Sud

Les peines de prison et les lourdes discriminations légales et sociales dont sont victimes les objecteurs de conscience constituent quelques-unes des violations des droits de l’homme les plus flagrantes en République de Corée. L’acquittement de trois objecteurs de conscience par la Cour d’appel de Gwangju apporte cependant une lueur d’espoir.

Pour la première fois, des objecteurs de conscience ont été acquittés en appel : l’un des plaignants a fait état avec succès de ses convictions religieuses (alors que de nombreux témoins de Jéhovah sont emprisonnés pour leur refus d’effectuer le service militaire), après avoir été acquitté en première instance (le Parquet avait fait appel), alors que deux autres objecteurs de conscience avaient été condamnés à dix-huit mois de prison en première instance. La Cour d’appel a également appelé à la mise en place d’un service alternatif au service militaire.

Si ces victoires juridiques témoignent d’une évolution des consciences en Corée du Sud, le risque demeure cependant élevé que la Cour Suprême, d’une part, la Cour constitutionnelle, campent sur leurs interprétations non conformes aux engagements internationaux de la République de Corée, sinon au texte de la Constitution sud-coréenne elle-même – alors que la Cour d’appel de Gwangju a souligné, à l’appui de ses décisions, que la conscience religieuse était garantie par la Constitution.

Le chanteur et acteur Yoo Seung-jun, victime de l’acharnement de l’appareil d’Etat coréen

En 2002, Yoo Seung-jun, alors l’un des chanteurs les plus populaires de Corée, se rend aux Etats-Unis après avoir donné un concert au Japon, et obtient la nationalité américaine. L’appareil d’Etat sud-coréen l’a alors interdit d’entrée sur le territoire de la République de Corée, en considérant que son changement de nationalité était une manoeuvre pour éviter d’avoir à effectuer son service militaire. Alors que l’ancien chanteur qui travaille aujourd’hui principalement comme acteur, notamment en Chine, né en 1976, avait présenté des excuses publiques en 2015 et envisagé d’effectuer son service militaire en abandonnant sa nationalité américaine, la justice sud-coréenne a à nouveau tranché en continuant à interdire à Yoo Seung-jun l’accès au territoire national.

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Alors que la Corée du Sud est pointée du doigt en matière de droits de l’homme pour son traitement des objecteurs de conscience, par lequel elle enfreint lourdement ses obligations internationales, l’affaire Yoo Seung-jun n’en finit pas de rebondir : dans une décision rendue le 30 septembre 2016, la Cour administrative de Séoul a mêlé considérants juridiques, jugements moraux et déclarations purement politiques, confirmant ainsi l’acharnement de l’appareil d’Etat contre une ancienne idole de la jeunesse sud-coréenne :

Nous avons jugé que le requérant a obtenu la nationalité Américaine afin d’éviter de faire son service militaire. Le requérant jouissait d’une grande popularité et avait une grande influence sur la jeunesse Coréenne. Alors qu’il avait dit à plusieurs reprises qu’il ne fuirait pas ses responsabilités et son devoir, il est revenu sur ses mots. Si nous venions à lui permettre de revenir en Corée et de reprendre des activités dans le monde du divertissement, nous manquerions de respect aux hommes et femmes qui sacrifient énormément de choses pour servir dans nos forces armées, et cela pourrait avoir un effet désastreux sur les jeunes générations […] Maintenir la loi et l’ordre social est plus important que les intérêts personnels d’un individu.

Ancienne dictature militaire, aujourd’hui dirigée par la fille du général Park Chung-hee arrivé au pouvoir par un coup d’Etat et ayant établi le régime le plus autoritaire qu’ait connu le pays jusqu’à son assassinat en 1979, la Corée du Sud reste un Etat foncièrement militariste, dans lequel le service militaire est utilisé pour asseoir une idéologie autoritaire, la Corée du Nord servant de prétexte commode à un contrôle social des individus sans équivalent dans aucune démocratie au monde.