Autour du 1er mai 2019, à l’initiative du Parti démocratique populaire, une délégation franco-vénézuélienne composée principalement de syndicalistes, d’artistes et d’intellectuels, dont notamment le célèbre architecte Fruto Vivas, a gagné Séoul pour divers événements politiques et artistiques. Aymeric Monville, président du Comité international pour les libertés démocratiques en Corée du Sud, s’est quant à lui rendu à la prison d’Inch’on pour s’entretenir avec le Pasteur Lee, actuellement sous les barreaux. Cet article, qui relate le combat du pasteur pour la démocratie et la réunification, est aussi l’occasion de faire le point sur les enjeux touchant à une démocratisation pleine et entière du pays, laquelle ne peut passer que par l’abrogation de la Loi de sécurité nationale. (n.d.r.)
J’ai rencontré pour la première fois le pasteur Lee en 2018 quelque part dans la zone démilitarisée entre les deux Corée. C’est là qu’il avait installé son temple, non pas comme certains évangélistes pour faire de la propagande en direction du Nord, mais pour oeuvrer à la réunification par le dialogue et la concertation. Face à certains de ses coreligionnaires, oeuvrant eux aussi en zone démilitarisée mais avec des intentions militaristes et revanchistes, il lui fallait rappeler par exemple que l’idée de bâtir un sapin géant à la frontière et de l’illuminer avec le plus d’électricité possible en pensant ainsi épater le Nord par cette pyrotechnie était tout simplement puéril et n’avait rien à voir avec l’esprit évangélique de Noël… Au moment où j’ai rencontré le pasteur Lee, celui-ci recevait des visiteurs étrangers et prenait soin du camarade An Hak Sôp, cet homme qui a fait 43 de prison en Corée du Sud parce qu’il n’a jamais voulu abjurer son communisme. C’était très émouvant de voir en acte le rapprochement patriotique de la rose et du réséda au coeur de toutes les fractures du pays. Cela rappellera sans doute aux plus âgés d’entre nous que c’était aussi un prêtre ouvrier, Désiré Marle, qui avait présidé le comité Honecker (actuellement Comité Internationaliste pour la Solidarité de Classe) en soutien aux communistes persécutés après la disparition de l’URSS.
De son nom complet, le pasteur Lee s’appelle Yi Chôk Moksa. Moksa veut dire « pasteur ». Yi est le nom de famille, prononcé I, transcrit Ri au Nord et Lee au Sud, transcription sans doute excessivement anglo-saxonne qui sied mal à ce pasteur militant qui vient de tenter, par deux fois, de mettre le feu à la statue du général Mac Arthur à Inch’ôn, le port de Séoul, lieu de débarquement des troupes US en 1950 au début de la guerre de Corée.
Pour mémoire, la guerre de Corée a causé la mort de 3 millions de personnes, principalement des Coréens, pertes qui dépassent, pour donner un point de comparaison, celles du Japon pendant la Seconde Guerre mondiale. Le haut commandement US, qui avait même envisagé d’envoyer des bombes atomiques, s’était contenté de ravager le pays en remettant en place les collaborateurs des fascistes japonais afin d’anéantir les forces de libération nationale coréennes qui avaient pourtant lutté elles aussi contre l’Empire du soleil levant pendant la guerre… Après la guerre, le Nord de la Corée n’était plus qu’un champ de ruines.
Il faut enfin comprendre que ces monuments sont en fait conçus comme autant d’humiliations du sentiment patriotique coréen. Sur la grand-place de Séoul, Kwanghwamun, l’ambassade US a succédé au siège du gouvernement général japonais… Le bâtiment, véritable chancre au coeur de la ville, toise la statue du roi Sejong, inventeur en 1446 de l’alphabet coréen.
Pour cette performance artistique sur fond de déconstruction dérridéenne des mythes fondateurs de l’actuelle République de Corée, le pasteur Lee est actuellement en prison, à Inch’ôn. Cette année, nous sommes allés lui rendre une visite de solidarité, au nom du Comité international pour les libertés démocratiques en Corée du Sud. On ne sait toujours pas quand il pourra sortir sachant que le procès n’a pas encore eu lieu et qu’il est hors de question pour le pasteur de payer la moindre caution. Comme notre entretien à la prison s’est fait en la présence d’un fonctionnaire prenant des notes et la manifestation de soutien qui a suivi notre visite sous le regard d’un drone (on n’arrête pas le progrès), je pense que les autorités à Séoul comme à Washington savent déjà parfaitement que nous exigeons au plus tôt la libération du pasteur. La prison, Lee en a malheureusement l’habitude, depuis l’époque du dictateur Chôn Tuhwan, grand ami de Ronald Reagan. Il a fallu au pasteur de nombreuses années pour se remettre des séquelles des tortures qu’il y a subies. Infatigable, le pasteur Lee poursuit son combat pour la réunification du pays sans ingérence étrangère.
Après quarante ans de fascisme et trente années de grande incertitude qui ont bien failli ramener la dictature, le combat du pasteur Lee est absolument nécessaire pour se débarrasser une bonne fois pour toutes des hypothèques qui pèsent sur la démocratisation du pays, à commencer par cette loi de sécurité nationale, d’un autre âge, qui réprime de manière arbitraire et discrétionnaire la liberté d’expression. Il faut enfin permettre à la population coréenne de décider de son destin sans ingérence étrangère dans leurs affaires. Ce combat pour le libre respect des consciences est aussi celui de la paix dans la région, ce qui signifie aussi la paix dans le monde.
Aymeric Monville, président du Comité international pour les libertés démocratiques en Corée du Sud, mai 2019
le pasteur Lee dans ses oeuvres, devant la statue du général Mac Arthur
le pasteur Lee devant une prison pour soutenir d’autres camarades (bien sûr avant son incarcération)
avec le camarade An Hak Sôp devant la prison d’Inch’ôn pour exiger la libération du pasteur Lee
lors d’une manifestation devant le parc « libre » (baptisé ainsi car il célèbre les Etats-Unis, bah voyons) où l’on aperçoit, en fond, la statue du général atomique