« Corée du Sud : la liberté d’expression en eaux troubles »

Comme dans tous les régimes autoritaires, les autorités sud-coréennes tentent une mainmise sur la liberté artistique pour étouffer toute contestation. Nous rendions compte des pressions exercées sur un des plus grands festivals de cinéma d’Asie, le festival de Busan, pour empêcher la diffusion d’un film documentaire – récemment diffusé en France – qui révélait les manoeuvres gouvernementales après le dramatique naufrage du ferry Sewol pour empêcher l’expression de la véritéNous reproduisons ci-après un article d’Eva John, correspondante à Séoul de Libération, intitulé « Corée du Sud : la liberté d’expression en eaux troubles », qui rend compte de la censure artistique en cours dans le Sud de la Corée. 

Entre censure et déstabilisations d’institutions majeures, la reprise en main très dure de la politique culturelle du gouvernement conservateur en place soulève des inquiétudes croissantes.

Expo

L’exposition consacrée à la création et au luxe à la française n’aura pas lieu. L’événement, qui devait débuter fin avril au musée national de Corée dans le cadre des années croisées France-Corée, à l’occasion du 130anniversaire des relations diplomatiques entre les deux pays, a été annulé en février. L’affaire n’aurait pas fait autant parler d’elle si la directrice du musée, opposée à cet événement qu’elle jugeait «trop commercial», n’avait été démise de ses fonctions par la Présidente, Park Geun-hye, peu après l’annulation.

L’histoire, révélée fin mars par le quotidien de gauche Hankyoreh, relance en Corée le débat autour de la mainmise du gouvernement sur la production artistique. Même le quotidien Joongang, plutôt bienveillant à l’égard du pouvoir, réclamait début avril dans un édito moins de «contrôle» de la part du gouvernement et plus de «liberté d’expression» pour les artistes.

Cinéma

La crise la plus notoire, qui a fait réagir jusqu’à Cannes, Venise et Berlin, est celle qui frappe le Festival international du film de Busan, l’un des plus importants d’Asie. Au centre de la polémique un documentaire, La vérité ne sombrera pas avec le Sewol, qui accuse les autorités d’être responsables du bilan dramatique (plus de 300 morts) du naufrage d’un ferry en avril 2014. Malgré la demande du maire, membre du parti conservateur au pouvoir, de retirer ce film jugé trop politique, l’organisation du festival a décidé de le diffuser lors de l’édition 2014. Quelques mois plus tard, la manifestation devenait la cible de plusieurs audits financiers et voyait ses subventions drastiquement réduites et le directeur du festival a été contraint de démissionner en février. L’édition 2016, dont les préparatifs peinent à avancer, pourrait même être compromise : de nombreux réalisateurs menacent de la boycotter en guise de soutien à l’équipe limogée.

Théâtre

En septembre, des députés du parti d’opposition avaient dénoncé des actes de censure par le gouvernement et mis en garde contre un étiolement de la démocratie sud-coréenne. D’après eux, plusieurs artistes marqués à gauche s’étaient vu refuser les aides de l’Arts Council Korea, l’une des principales agences de promotion des arts. Parmi eux, un auteur de théâtre ayant ouvertement soutenu l’adversaire de la future présidente lors de l’élection présidentielle de 2012, et un autre ayant écrit une pièce satirique sur la présidente et son père, l’ancien dictateur Park Chung-hee. Des accusations rejetées en bloc par l’organisation.

Peinture

Un an plus tôt, une immense fresque satirique avait été retirée de la Biennale de Gwangju en 2014 à cause des pressions de la mairie. L’œuvre, du peintre engagé Hong Seung-dam, représentait la présidente sud-coréenne en épouvantail manipulé par son père, en costume militaire et face à des familles de victimes en colère après le naufrage du Sewol. Le président de la biennale avait démissionné de son poste peu de temps après. Il avait alors déclaré : «La liberté d’expression ne devrait pas être restreinte par le gouvernement uniquement parce que ce dernier contrôle le budget des expositions.»

Laisser un commentaire